La Musique en Boucle

La Musique en Boucle

23 June 2021 / William Anderson / On the Beat, composers

La Musique en Boucle
John Chang sur Seungmin Cha

En 2010, j’ai rencontré Seungmin Cha pour la première fois, une joueuse de daegeum (flûte traversière en bambou d’origine coréenne) qui recevait une bourse gouvernementale d’échange culturel à New York. J’avais assisté à son concert tenu à l’ancienne Roulette et je suis immédiatement tombé amoureux de la poésie sonore, à la fois fragile et profonde, qui m’a subjugué. Lorsque je lui ai demandé si je pouvais voir la partition après le concert, elle m’a tendu une pile de papiers en me disant : « Tu peux les garder si tu veux. Je la connais par coeur. » Ça m’a rappelé le film Amadeus, la scène où Salieri rencontre Mozart pour la première fois. La partition était unique comprenait des petites sections de musique copiées et collées à travers la pièce. Lors de son séjour à New York, elle a assisté à autant de concerts que possible, tout en rencontrant et en improvisant avec les musiciens. J’ai eu la chance d’en faire partie. À l’approche de sa date de départ, elle m’a demandé conseil sur les séquenceurs à boucle. Elle est retournée chez elle avec une valise pleine d’équipement de musique.

L’une des plus grandes innovations musicales du siècle dernier est née lorsque l’idée de répéter de courts motifs musicaux (une pratique rendue populaire par les compositeurs minimalistes : Reich, Riley, Young) a rencontré des technologies qui ont permis aux musiciens d’enregistrer et de jouer instantanément. Dans les années 40, les magnétophones étaient utilisés par les compositeurs électroacoustiques (Schaffer, Stockhausen, Varese) comme source sonore. Dans les années 60, les compositeurs utilisaient des boucles de bande pour créer des phases (les mêmes boucles jouées à des vitesses différentes, donc ce qui commence comme un unisson, s’éloigne lentement et se désynchronise et revient très progressivement en phase). La musique en boucle concerne davantage le processus que le résultat final. Cela demande du temps, de l’énergie et surtout de la patience tant de la part des interprètes que du public. Il faut être prêt à s’asseoir pendant une longue exécution de sons répétitifs. Parfois, les récompenses transcendantales en valent la peine. Comme John Cage l’a dit un jour : « Si quelque chose est ennuyeux après deux minutes, essayez-le pendant quatre minutes. Si toujours ennuyeux, alors huit. Puis seize. Puis trente-deux. On finit par découvrir que ce n’est pas du tout ennuyeux.

I’m sitting in a room (1969) d’Alvin Lucier est un exemple classique de musique en boucle. Ici, le compositeur expérimental américain récite un court texte qui est enregistré puis rejoué dans la salle, qui est enregistré et rejoué encore et encore jusqu’à ce que le texte parlé ne soit plus audible et que nous nous retrouvions essentiellement avec une série de fréquences de résonance propres au propriétés acoustiques de la salle. Il fait plus tard la même chose avec un orchestre dans une salle de concert dans Exploration of the House (2005) où le même processus est répété avec des extraits de l’ouverture de Beethoven La consécration de la maison comme matériaux de base. The Disintegration Loop Series (2002-2003) de William Basinski en est un autre exemple. Dans cette œuvre, une boucle de bande se dégrade lentement au fur et à mesure qu’elle se détériore à chaque fois qu’elle passe devant la tête de bande, la ferrite qui se détache du support en plastique crée de plus en plus de lacunes et de fissures dans la musique, le son finit par disparaître dans le silence entraînant la mort de la musique.

Les pédales de looping et les logiciels informatiques ont remplacé les magnétophones et les anciens échantillonneurs, ce qui a rendu la création de couches de pistes en temps réel abordable et pratique pour les artistes solos. Le grand public a vu l’humoriste et musicien Reggie Watts se produire à la télévision nationale en utilisant des boucles pour construire une piste de fond avec du beatboxing et des fredonnements sur lesquels il chante et rappe. La multi-instrumentiste Bora Yoon se sert d’appareils de looping afin de créer un paysage sonore céleste, alors que Seungmin Cha se sert de boucles afin de créer des fonds pour ses pièces en solo.

Ce ne sont que quelques découvertes que l’on fait lorsqu’on explore le labyrinthe de la musique en boucle. Bonne écoute!

- John Chang

John Chang est un compositeur et un guitariste né en Corée, élevé à Montréal et a maintenant élu domicile à New York. Il est le fondateur de Bodies Electric, un quatuor de guitare électrique.

Suggested listening:

Écoute suggérée:

추천곡:

Steve Reich - It’s Gonna Rain (1965)

Alvin Lucier - I Am Sitting In A Room (1969)

Gavin Bryars - Jesus’ Blood Never Failed Me Yet (1975)

Ghédalia Tazartès - Un Amour Si Grand Qu’il Nie Son Objet (1977)

William Basinski - The Disintegration Loops (2002-2003)




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